Modifier l'article 254 du Code civil
Sujet de l'édition 2023
Rédigez le texte qui permettra de satisfaire la proposition ci-dessous tirée des travaux du 119ème Congrès des notaires de France :
1 – Texte de la proposition :
Le Congrès des notaires s’est interrogé sur l’article 215 du Code civil.
Il a émis une proposition impliquant plusieurs adaptations de textes existants.
Les candidats du Concours Solon sont invités à procéder à l’une de ces adaptations, celle relative à la modification de l’article 254 du Code civil.
La proposition du Congrès ici reproduite ne contient que l’extrait relatif à la modification qui vous est soumise :
LE 119E CONGRÈS DES NOTAIRES DE FRANCE PROPOSE :
(…)
2) Que l'article 254 du Code civil soit modifié afin que l'office du juge comprenne obligatoirement, lors de l'audience d'orientation et de mesures provisoires (AOPM), la localisation du logement de la famille, protégé par l'article 215 al. 3 ;
(…)
2 – Recommandations à l’usage des candidats :
L'épreuve a pour objet une sélection non par les connaissances mais plutôt par la capacité à écrire le droit d'une façon logique, juridiquement univoque (tout en respectant les règles de la langue française).
Avertissement pratique important :
Une fois le sujet pris en compte, et afin d’éviter les méfaits des microcoupures des réseaux, il vous est conseillé de travailler hors ligne et de vous reconnecter avant la fin de l'épreuve pour coller votre contribution dans le cadre prévu à cet effet dans l’interface de l’épreuve.
À 20 heures précises, l’épreuve étant terminée, l’accès au site est coupé, seul le texte alors enregistré sur le serveur étant pris en compte à titre de copie d’examen.
3 – Documentation :
La documentation est libre.
Afin d’aider les candidats à cerner la question qui leur est soumise, la transcription de la proposition faite lors du Congrès a été reproduite ci-dessous (la forme orale est conservée, seuls les extraits en rapport avec l’exercice sont reproduits) :
« Vouloir optimiser l'article 215 du Code civil ? Et prétendre revenir à l'esprit de son alinéa 3 ? Voilà qui peut sembler audacieux.
Évidemment, il n'est pas question de faire vaciller les colonnes du temple : le temple de la protection du logement familial, de sa cogestion par les deux époux, soigneusement édifié depuis 1965.
Au contraire.
Il s'agit de consolider et d'enrichir.
Mais me direz-vous, Chers Confrères :
En quoi cette disposition si connue, et cette cogestion si légitime, ont-elles besoin d'être consolidées et éclaircies ?
(…)
[Le rapporteur pose plusieurs questions à la salle, dont celle-ci :]
Le juge est-il tenu de prononcer des mesures concernant le logement de la famille au cours de l'audience d'orientation et de mesures provisoires ?
Alors, vous avez observé que la dernière question de ce quizz, elle concerne l'article 215 et principalement le risque que fait peser sur le logement de la famille une procédure de divorce.
Cette situation si l'on en croit les chiffres est évidemment banale
Mais derrière les chiffres, au-delà la réflexion juridique que nous conduisons ensemble, il y a des réalités de vie quotidienne. Et ceux qui la rencontrent le plus souvent ce sont les notaires et, après eux, les juges.
Nous voyons donc, chers Confrères, que si le principe est intangible, sa mise en application mérite parfois éclairage pour ne pas perdre de vue l'esprit du texte.
Ciblons deux points de vigilance importants pour notre pratique quotidienne ; ils nous conduiront à trois suggestions, qui nourriront notre proposition.
I — LES POINTS DE VIGILANCE RELATIFS A L'OBJET DE LA PROTECTION
L'article 215 al. 3 s'applique aux « droits par lesquels est assuré le logement de la famille ». C'est entendu, et bien connu.
Mais en fait, ce simple énoncé, confronté aux réalités de terrain, mérite deux mises en lumière.
L'un a trait tout d'abord à la nature du logement, la nature des droits par lesquels il est assuré.
L'autre est relatif la localisation du bien constituant le logement.
1) LE LOGEMENT, QUEL EST-IL ?
(…)
2) LE LOGEMENT, OU EST-IL ?
Incertitudes sur la position du logement
Là encore, chers confrères, on pourra s'étonner : un logement, on sait bien où il est !
La question est en fait ailleurs :
Ce bien que nous considérons, sur lequel on nous demande d'acter une mutation, est-ce bien lui, ou est-ce un autre, qui constitue le logement de la famille ?
Nous entrons là dans une difficulté déjà connue, mais que la réforme récente du divorce risque d'accentuer.
Nous avons tous rencontré cette situation :
Un époux, propriétaire à titre personnel d'un local d'habitation le met en vente. Or, ce vendeur est en instance de divorce, et ce divorce est contentieux. Les époux résident séparément, et ce local est vide.
Il y a donc encore mariage, mais il n'y a plus de vie commune.
Le vendeur va être très surpris d'apprendre que :
a) Le consentement du conjoint est requis au titre de l'article 215
Cette affirmation repose sur deux considérations :
D'une part, la protection du logement familial a toujours la même durée que celle du mariage. Elle s'applique donc jusqu'au jugement de divorce devenu définitif.
D'autre part, si son conjoint prétend (ou risque de prétendre) qu'il s'agit du logement familial, il n'appartient pas au notaire de trancher la question. Seul le juge en aura le pouvoir.
En attendant, dans le doute, tout local dont la famille pouvait avoir la disposition est susceptible de constituer le logement protégé par l'article 215.
Par précaution, on va donc devoir demander au conjoint non-propriétaire de consentir à l'acte.
La suite, nous la connaissons tous... l'époux sollicité va monnayer son consentement, pour faire pencher le partage à son avantage ou obtenir une meilleure prestation compensatoire ! Et voilà l'article 215 devenu l'instrument dévoyé d'un chantage.
Il nous faut ajouter que...
b) Cette difficulté risque de s'aggraver
En effet, depuis l'entrée en vigueur de la réforme du 23 mars 2019, dans les divorces contentieux, la procédure ne connaît plus aucune tentative de conciliation. L'ordonnance qui auparavant constatait l'échec de celle-ci, était le moment où le juge en tirait les conséquences pour la durée de l'instance, en prenant des mesures provisoires.
Aujourd'hui, cette ONC disparue est remplacée par une audience d'orientation, au cours de laquelle le juge statue sur les mesures provisoires qui lui sont demandées, et uniquement sur celles-ci.
C'est-là une importante différence avec le régime antérieur, dans lequel le juge devait statuer sur le sort du logement de la famille chaque fois qu'il autorisait les époux à résider séparément (c'est-à-dire dans la très grande majorité des cas).
On savait alors, indirectement, quel était le logement protégé.
Mais aujourd'hui, à supposer qu'aucune mesure relative à ce logement ne soit sollicitée, le juge du divorce n'a pas à statuer d'office sur ce point sachant qu'il pourra le faire ultérieurement, tant qu'il n'y aura pas clôture de l'instance, si une demande devait finalement être formulée à cet égard.
Mais alors, une éventuelle décision prise sur le logement peut-être plusieurs mois APRES l'audience devra-t-elle avoir un effet rétroactif ? et si oui, jusqu'où ?
A la date de l'assignation (ou de la requête conjointe), puisque c'est elle désormais qui marque le début de l'instance ? et non plus la date de l'audience (AOMP).
Nous pensons que, pour les besoins de la sécurité juridique, cette incertitude devrait cesser.
Ajoutons qu'au plan des principes, on peut s'étonner de voir la protection du logement familial, supposée asseoir la cohésion de la famille, s'appliquer précisément au moment où bien souvent, toute vie familiale a disparu, et parfois depuis longtemps.
Notre suggestion serait donc de corriger cette anomalie, en conférant à l'AOMP toute la valeur de séquence procédurale majeure qu'elle doit revêtir, et reconnaître tout son poids à la souveraineté d'appréciation du juge. Mais cela, en amont, afin que tout soit clair et lisible dès ce stade de la procédure pour les époux et leurs ayant causes. Et dans ce but, l'idée serait donc de prévoir que lors de l'AOMP :
- Soit le juge prend acte des accords des époux pour reconnaître à tel ou tel local le caractère de logement familial, ce qui de fait exclura du régime les éventuels autres biens,
- Soit, à défaut d'accord :
* il exprime nécessairement dès ce stade les mesures provisoires requises en matière de logement,
*il détermine le bien présentant le caractère de logement familial, ce qui clarifiera le sort des autres. »