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Recours contre les autorisations d'urbanisme

Sujet de l'édition 2018

 

Rédiger sous forme de texte législatif la proposition ci-dessous tirée des travaux du 114ème Congrès des notaires de France.

Rappels:
Il ne s'agit pas d'écrire une dissertation ou un commentaire mais de rédiger un texte normatif tel qu'il serait s'il était inclus dans le code civil ou d'autres codes. Les dispositions transitoires ne sont pas à prendre en considération. Il n’y a pas lieu de prévoir un exposé des motifs.


La documentation est libre. Vous pouvez notamment consulter le compte-rendu du 114ème congrès des notaires via https://www.concours-solon.fr/pdf/rapport-congres-114.pdf. En outre, la présentation de la proposition faite lors du Congrès a été reproduite ci-dessous, après l'énoncé du sujet.


L'épreuve a pour objet une sélection non par les connaissances mais plutôt par la capacité à écrire le droit d'une façon logique, juridiquement univoque (tout en respectant les règles de la langue française).

Avertissement important :
Une fois le sujet pris en compte, et afin d’éviter les méfaits des micro-coupures des réseaux, il vous est conseillé de travailler hors ligne et de vous reconnecter avant la fin de l'épreuve pour coller votre contribution dans le cadre prévu à cet effet dans l’interface de l’épreuve.
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SUJET : améliorer la prévention des recours contre les autorisations d'urbanisme

Considérant :

• que la prévention des recours abusifs contre les autorisations d’urbanisme est d’intérêt général ;
• que les mesures proposées par le législateur dans le projet de loi « ELAN » sont de nature à combattre efficacement les recours abusifs connus de l’auteur et du titulaire d’une autorisation d’urbanisme ;
• qu’en revanche, la méconnaissance, tant par son auteur que par son titulaire, de possibles interruption ou suspension du délai de recours contre une autorisation d’urbanisme est une source majeure d’insécurité juridique, propice au développement de recours abusifs ;
• que l’accès à la justice est un droit fondamental, justifiant l’interruption du délai de recours en cas de demande d’aide juridictionnelle, sous réserve qu’elle soit connue de l’auteur et du titulaire de l’autorisation d’urbanisme ;
• que l’accès à la justice n’est pas remis en cause par la seule existence d’un désaccord entre l'assureur et l'assuré au sujet de mesures à prendre pour régler un différend dans les conditions de l’article L. 127-4 du Code des assurances.


LE 114e CONGRÈS DES NOTAIRES DE FRANCE PROPOSE :
• que toute demande d’aide juridictionnelle dans le cadre d’un recours contre une autorisation d’urbanisme soit obligatoirement notifiée à l’auteur et au titulaire de cette autorisation, sous peine d’irrecevabilité d’office du recours ;
• que le législateur écarte l’application de l’article L. 127-4 du Code des assurances dans le cadre des recours contre les autorisations d’urbanisme.
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Présentation de la proposition faite lors du Congrès

AMÉLIORATION DE LA PREVENTION DES RECOURS CONTRE LES AUTORISATIONS D’URBANISME

 

Le castor et le rat

Il était une fois un lieu qui nous ressemble,
Où vivaient lion, castor, chat et rat tous ensemble.
Le maire était le lion, le chat était le juge,
Les deux veillant qu’entre eux, les autres ne se grugent.

Deux fois, le lion fit droit de construire au castor,
Mais à la condition de ne pas causer tort.
Au rat du voisinage, à l’apparence franche,
Qui ressemblait, c’est vrai, à une souris blanche.

Le rat savait fort bien que bâtir des maisons
Etait pour le castor, de vivre la raison.
Ayant fait la cigale et bien trop dépensé,
Le rat dans le besoin se mit donc à penser :

« Afin que de purger le recours d’un permis,
Castor serait-il prêt à payer l’ennemi ? »
Pour avoir le cœur net, il saisit la justice,
Inventant sans effort de vagues préjudices.

Puis il dit au Castor : « Si tu me donnes tant,
Je cesse mon recours, ici et à l’instant ».
Le castor bien naïf, sûr d’être en son bon droit,
Rejeta le chantage osé à son endroit.

Le chantier fut fermé le temps de l’instruction,
Le chat rendant justice avec application
Mais sans célérité. Le matin du verdict,
Le gain qu’eut le castor ne valait pas vindicte.

Car quand il fut question de sanctionner le rat
Pour avoir abusé d’un recours scélérat,
Le bon chat invoqua le droit à la justice :
« Punir qui y recourt serait trahir Thémis ».

Le rat ne perdit rien dans ce premier procès,
Mais le castor beaucoup, et il en eut assez…
Quand le second permis fit l’objet d’un recours
Le castor transigea… et le rat toujours court.

Première moralité
Quand il est bien trop long, le temps de la justice,
Est, de l’iniquité, l’improbable complice.

Seconde moralité
Si la peur des sanctions retient le bras qui part,
Au mal, l’impunité ne sert pas de rempart.


Cette fabulette a notamment le grand défaut de laisser à penser que le Castor est la seule victime du recours abusif.
Mais dans la vraie vie d’un pays en déficit chronique d’appartements, la société toute entière, qui peine à se loger, est aussi une victime collatérale.
Au point qu’aux termes d’une décision du 10 novembre 2017, le Conseil constitutionnel a jugé que la prévention des recours abusifs était d’intérêt général.

Elle est au surplus au cœur de l’actualité, le gouvernement ayant décidé de confier le règlement de ce problème à sa loi ELAN, actuellement en débat parlementaire très prochainement.
Le projet de loi prône un raccourcissement du temps judiciaire et un renforcement des sanctions contre le requérant reconnu fautif. Plus de célérité ; plus de sévérité.

En zones tendues, Il serait ainsi prévu d’imposer à la juridiction administrative un délai de dix mois, pour juger les recours contre les permis autorisant des logements collectifs (la moyenne est à 23 mois actuellement) ; Dans ces mêmes zones tendues, une mesure mise en œuvre à titre expérimental du 1er décembre 2013 au 1er décembre 2018, vise à l’impossibilité de faire appel. Elle serait pérennisée.
Il serait prévu de réécrire l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme, relatif à la demande reconventionnelle d’indemnité pour recours abusifs.
Même si le risque existe de ne pas voir les juges administratifs devenir plus sévères, nous avons vraiment envie de croire à l’efficacité des dispositifs proposés par le législateur !

Si les recours pouvaient être traités en moins d’un an, il est probable que la pratique pourrait s’adapter à ce délai non seulement raisonnable, ce qui est capital, mais aussi connu à l’avance, ce qui l’est tout autant.

Mais avant de savoir s’il est abusif, penchons-nous d’abord sur ce qu’est le recours d’un tiers contre une décision d’urbanisme. A priori, c’est l’expression devant le juge d’une défiance à l’égard de l’application à une situation donnée des règles autorisant une construction ou une division. Or, cette défiance n’est pas illégitime par principe.
 
Elle l’est d’autant moins que les règles qui s’appliquent sont complexes, comme c’est le cas en matière d’urbanisme. Elle ne le deviendra qu’au moment où le juge, en dernière instance, décidera de ne pas y donner une suite favorable. C’est seulement à ce stade qu’il pourra qualifier ce recours d’abusif ou non, et en tirer les conséquences à l’égard du pétitionnaire.

En attendant, non seulement tout recours reçoit une sorte de présomption de légitimité, mais il doit même être protégé tant au titre de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qu’au titre de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Cette protection s’étend pour les personnes ayant de faibles ressources à la prise en charge totale ou partielle par l’Etat des honoraires et frais de justice, au travers de l’aide juridictionnelle.
Dans la plupart des contentieux, la demande de cette aide n’a pas d’autres conséquences que de ralentir une justice qui ne brille déjà pas par sa rapidité.
Mais dans la matière immobilière, où les biens voient leur valeur évoluer du jour au lendemain quand ils bénéficient d’une autorisation d’urbanisme purgée de tout recours, elle devient une source potentielle d’insécurité juridique importante, voire un moyen de piéger autrui.
En effet, l’article 38 du décret du 19 décembre 1991 relatif à l’aide juridique prévoit qu’il suffit de faire une demande d’aide juridictionnelle pour interrompre un délai de recours.
En matière de décision d’urbanisme, et s’agissant d’une interruption plutôt que d’une suspension, le délai de deux mois pour effectuer un recours repart donc à zéro à la réception de la réponse de l’Administration quant à la demande d’aide juridictionnelle, qu’elle soit positive ou négative.
 
Ce report est un frein au mécanisme d’accélération du temps de la justice prôné par le projet de loi ELAN. Mais si, comme on nous l’indique, le traitement moyen des demandes d'aide juridictionnelle reste d’une quarantaine de jours, le problème reste gérable.
En revanche, un problème se révèle potentiellement ingérable à l’heure actuelle. C’est tout simplement qu’au moment même où le temps du recours contre l’autorisation d’urbanisme est interrompu par une demande d’aide juridictionnelle, aucun des acteurs du dossier n’en a connaissance. Ni l’auteur de la décision susceptible d’être attaquée, ni le titulaire du permis.

En effet, l’article R 600-1 du Code de l’urbanisme (lui-même tiré du L. 600-3 version 1994) relatif aux notifications à faire à ces personnes en cas de recours ne se penche absolument pas sur la question de l’aide juridictionnelle qui en est potentiellement le préalable.

Le délai de recours peut donc continuer à courir sans que les principaux intéressés ne le sachent.
Vous êtes des praticiens, nous ne vous ferons donc pas de dessin quant aux dangers de cette situation.
Il faut y remédier en obligeant le requérant faisant précéder un potentiel recours contre une autorisation d’urbanisme, par une demande d’aide juridictionnelle, à notifier cette demande au même titre qu’il doit notifier son recours. Et ce, à peine d’irrecevabilité d’office dudit recours.

Cette insécurité juridique est dupliquée de manière beaucoup plus scandaleuse par l’article L.127-4 du Code de l’assurance, relatif à l’assurance de protection juridique.

Aux termes de cet article, un délai de recours, notamment contre un permis de construire, peut être suspendu si l’assuré ne s’est pas mis d’accord avec son assureur au sujet des mesures à prendre pour contester l’autorisation d’urbanisme, et s’il a soumis ce désaccord à l’appréciation d’une tierce personne. Il ne s’agit pas ici d’interruption de délai, mais de suspension. Pour autant, le risque est similaire à celui de l’aide juridictionnelle… Car là non plus, aucune information n’est donnée à personne.

Ici, il n’est plus question de défendre le droit à l’accès à la justice à des personnes ayant de faibles ressources.
Il s’agit d’un simple litige dans un rapport de droit privé entre l’assuré et l’assureur, litige pouvant créer des dommages collatéraux dramatiques pour autrui, sans même qu’il en ait connaissance. Pour les raisons évoquées tout à l’heure et liées aux particularités du droit immobilier, ce texte ne peut rester en l’état, au moins à l’égard des autorisations d’urbanisme… Il en va de la sécurité juridique des dossiers de constructions.   
Et il ne sert à rien pour le législateur de se battre contre les recours abusifs s’il ne sécurise pas les recours tout courts.

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